À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le SIDA, découvrez les recherches de la Dre Isabelle Boucoiran, obstétricienne-gynécologue et chercheuse au CHU Sainte-Justine, sur le suivi médical des femmes enceintes vivant avec le VIH. Avec plusieurs pédiatres infectiologues au sein du Centre d’infectiologie Mère-enfant du CHU Sainte-Justine, elle nourrit l’espoir d’optimiser leur prise en charge, en éliminant les suivis non nécessaires tout en maintenant un risque le plus faible possible pour la mère et le bébé.
En effet, bien que d’importantes avancées aient été réalisées en ce qui concerne le traitement et le risque de transmission du VIH de la mère au bébé à naître, plusieurs défis subsistent pour la future maman. « Aujourd’hui, pour les femmes sous traitement antirétroviral dont la charge virale est indétectable, le risque de transmission mère-bébé est pratiquement nul, explique la Dre Boucoiran. Malgré tout, il subsiste des enjeux importants pour les soignants et pour les femmes, tant durant la grossesse que pour la période post-partum. »
Des médicaments non testés pour la grossesse
Un premier enjeu concerne le manque de données sur la prise de médicaments antirétroviraux durant la grossesse. « Dans ce domaine, les pratiques sont souvent bien en avance sur la science. Des femmes traitées par de nouveaux antirétroviraux viennent nous voir pour un suivi de grossesse, sans qu’on ait de données probantes sur le dosage à utiliser ou la sécurité du traitement. On doit donc faire des contrôles fréquents pour s’assurer que le traitement est efficace et sûr. »
À cela, s’ajoutent de nombreux autres suivis tout au long de la grossesse. S’il est essentiel de monitorer la charge virale des femmes pour réduire au minimum le risque de transmission du VIH au bébé à naître, d’autres contrôles ne sont peut-être pas nécessaires. Dans une recherche publiée en octobre dernier, la Dre Boucoiran et ses collègues se sont penchés sur le CD4, un marqueur de l’immunité utilisé pour évaluer le risque de contracter une autre infection durant la grossesse. « Grâce à cette étude, nous avons vu que si le niveau de CD4 est au-dessus d’un certain seuil en début de grossesse, la mère n’est pas à risque. Cela permet donc d’éliminer ces prises de sang, tout en rassurant la maman. »
Après l’accouchement : une période fragile pour le continuum des soins
Durant la période post-partum, plusieurs difficultés peuvent survenir qui nuisent à l’adhésion au traitement et à la rétention aux soins du VIH. Aux nombreux suivis médicaux pour la femme s’ajoutent ceux pour le bébé, et la charge devient parfois trop grande pour les nouvelles mamans. « Ce qu’on a constaté dans nos recherches, c’est que parmi les femmes enceintes qui prennent leurs médicaments, seules 82 % restent sous traitement après la fin de la grossesse. Nous souhaitons donc mener une étude qualitative pour comprendre pourquoi 18 % des femmes cessent leur traitement. Une des hypothèses est le coût de ces médicaments, mais nous devons aussi réfléchir à l’organisation des soins pour faciliter les suivis. »
La Dre Boucoiran mène d’ailleurs plusieurs études pour démontrer la charge financière du VIH pour les mères, notamment le coût des antirétroviraux et celui des préparations lactées pour nourrisson. « On suggère aux femmes ayant le VIH de ne pas allaiter leur bébé en raison du risque de transmission du VIH par le lait maternel. Depuis 2021, il existe un programme québécois qui rembourse l’achat de la préparation commerciale pour nourrisson, dont le CHU Sainte-Justine assure la coordination. Notre évaluation de l’implantation du programme, qui a été présentée au congrès de l’Association canadienne de recherche sur le VIH plus tôt cette année, est très positive en dépit de quelques obstacles. » Le financement du programme a d’ailleurs été reconduit par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Un gain important pour limiter la transmission du virus au bébé, sans augmenter la charge financière pour les familles.
À propos des études citées
Boucoiran I, Côté HCF, Jodoin C, Elwood C, Kakkar F, Valois S, Money DM, Soudeyns H. Variations in CD4 counts during pregnancy in women living with HIV. HIV Med. 2023 Oct 25. doi: 10.1111/hiv.13569. Epub ahead of print. PMID: 37879717.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37879717/
Carvalho S, Sheehan NL, Valois S, Kakkar F, Boucher M, Ferreira E, Boucoiran I. Relationship between raltegravir trough plasma concentration and virologic response and the impact of therapeutic drug monitoring during pregnancy. Int J STD AIDS. 2023 Mar;34(3):175-182. doi: 10.1177/09564624221144489.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36529684/
Carvalho S, Sheehan N, Yudin M, Boucoiran I. 2023. La cascade des soins du VIH pendant le post-partum : le contexte canadien. Présentation par affiche dans le cadre de la Journée du département de pédiatrie de l’Université de Montréal, 1er décembre.
Chebou T, Taillefer S, Gareau E, Kakkar F, O’Brien N, Boucoiran I. 2023. Évaluation du Programme provincial de préparation commerciale pour nourrissons nés de femmes vivant avec le VIH au Québec. Présentation par affiche au 32e Congrès canadien annuel de la recherche sur le VIH/SIDA, Québec, avril 2023.
Money D, Lee T, O'Brien C, Brophy J, Bitnun A, Kakkar F, Boucoiran I, Alimenti A, Vaudry W, Singer J, Sauve LJ; Canadian Perinatal HIV Surveillance Program. Congenital anomalies following antenatal exposure to dolutegravir: a Canadian surveillance study. BJOG. 2019 Oct;126(11):1338-1345. doi: 10.1111/1471-0528.15838.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31188522/