Depuis novembre 2013, tous les enfants nés dans un hôpital de Montréal ou de Laval bénéficient d’un dépistage systématique de l’anémie falciforme, une pathologie chronique du sang pouvant donner lieu à des complications graves, voire mortelles. Ce programme s'est étendu pour tous les enfants nés dans la province dès avril 2016. Pour le dixième anniversaire de cette initiative, une étude dirigée par le Dr Yves Pastore du CHU Sainte-Justine confirme pour la toute première fois l’efficacité de cette mesure pour réduire les complications de la maladie.
Grâce à une analyse de plusieurs centaines de dossiers médicaux d’enfants de 0 à 5 ans référés entre 2000 et 2019 à la clinique d’hématologie du CHU Sainte-Justine, l’étude présentée en décembre au congrès annuel de la Société américaine d’hématologie démontre notamment une diminution du taux d’hospitalisation, ainsi qu’une baisse de fréquentation de l’urgence chez les patientes et patients ayant bénéficié du dépistage. Le programme, qui consiste à prélever et analyser une goutte de sang sur le talon du nouveau-né, s’avère donc une mesure de santé publique incontournable pour prévenir les formes graves de la maladie.
L’anémie falciforme : une maladie génétique aux lourdes complications
L'anémie falciforme, aussi appelée drépanocytose, est la maladie génétique la plus courante dans le monde, et touche environ un enfant sur 2 500 au Canada. Cette pathologie du sang entraîne une déformation des globules rouges, qui empêche un transport efficace de l'oxygène aux organes. L’une des complications fréquentes de la maladie, la crise vaso-occlusive est causée par une accumulation des globules déformés dans les petits vaisseaux sanguins. Elle bloque la circulation et provoque de vives douleurs. « Sans dépistage, les personnes atteintes d’anémie falciforme sont à risque de se présenter aux urgences avec des crises de douleur, une fièvre élevée et inexpliquée ou même parfois une infection très sévère, explique le Dr Pastore. Dans de rares cas, les enfants peuvent même subir un accident vasculaire-cérébral. »
Asif, 12 ans, est né au CHU Sainte-Justine deux ans avant l’introduction du dépistage systématique. Sa mère étant atteinte d'anémie falciforme, il a heureusement pu recevoir un diagnostic dès sa naissance. « Quand j’ai reçu le diagnostic pour mon fils, j’ai beaucoup pleuré, se rappelle sa mère. J’avais très, très peur pour lui. Mais en le sachant dès sa naissance, mon bébé a tout de suite été pris en charge à la clinique d’hématologie, et ça a fait toute la différence pour lui. »
Un meilleur pronostic grâce à des interventions précoces
Premier résultat positif : depuis l’introduction du programme, tous les enfants nés au Québec ont été pris en charge à la suite du dépistage néonatal. L’étude a également mis en lumière des succès importants au niveau des hospitalisations et visites aux urgences. En comparant les enfants pris en charge entre le 1er janvier 2000 et le 31 octobre 2013 (soit avant l ’introduction du dépistage systématique) avec ceux vus pour une première fois entre le 1er novembre 2013 et le 31 décembre 2019, les chercheurs ont constaté une baisse de moitié des hospitalisations (toutes raisons confondues) entre les deux cohortes. Les résultats sont tout aussi remarquables en matière de gestion des crises vaso-occlusives et des douleurs intenses dues à la maladie. En effet, les enfants pris en charge depuis l’introduction du dépistage systématique ont un risque significativement plus faible de se rendre à l’urgence pour une crise vaso-occlusive. « Et suite à l’introduction du programme, on voit que les hospitalisations pour les crises de douleurs sont retardées : en effet, la survie sans hospitalisation est passée de 573 jours à 1320 jours », précise Costa Kazadi, étudiant et premier auteur de l’étude.
« Le dépistage à la naissance nous permet de référer rapidement les enfants à des centres spécialisés, plutôt que d’attendre qu’une première visite à l’urgence ne mène à un diagnostic, se réjouit le Dr Pastore. Il nous permet d’offrir des interventions préventives précoces dès les premiers mois de vie, notamment la vaccination renforcée contre les infections, ainsi que la prescription d’antibiotiques et d’un médicament, l’hydroxyurée, pour empêcher la progression de la maladie. Cela nous permet aussi d’informer les parents sur les soins à prodiguer et les signaux d’alarme à surveiller. » Pour Asif et sa famille, la prise en charge précoce du garçon permet aujourd’hui de gérer la majorité des crises de douleur à la maison, afin qu’il puisse demeurer auprès de ses proches.