Montréal, le 30 avril 2024 – Au-delà de la génétique et du cerveau des personnes autistes, que se passe-t-il aux niveaux physiologique, comportemental et cérébral lors d’interactions sociales? Et comment ces éléments diffèrent-ils chez les enfants neurotypiques? Un tout nouveau projet dirigé par Guillaume Dumas, chercheur au CHU Sainte-Justine et professeur à l’Université de Montréal, vise à mieux comprendre les déterminants sociaux de l’autisme grâce à une approche multiniveaux. Ce projet, nommé SCALE (Social Cognition in Autism across LEvels), est réalisé avec une équipe de recherche du CHU Sainte-Justine, dont Anne Gallagher, Sarah Lippé, Laurent Mottron et les Drs Baudouin Forgeot D’Arc, Patricia Conrod et Sébastien Jacquemont, ainsi qu’avec Karim Jerbi de l’Université de Montréal.
En utilisant l’ « hyperscanning », une technique qui permet d’enregistrer simultanément l’activité cérébrale de plusieurs personnes, SCALE vise à caractériser avec précision la dynamique d’interactions entre des jeunes autistes et leurs parents, afin de développer des outils cliniques de diagnostic et d’intervention personnalisée. Des entrevues individuelles auprès de patientes et patients partenaires viendront enrichir ces données par l’ajout d’une dimension subjective.
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Explorer les bases biologiques de l’interaction sociale
Des recherches basées sur l'électro-encéphalographie simultanée de plusieurs individus (hyperscanning-EEG) ont démontré qu’une certaine convergence de l’activité neurale peut survenir lors d’interactions sociales. Ce phénomène, nommé synchronisation neurale interpersonnelle (SNI), a été associé à plusieurs bénéfices au niveau de la communication. Considérant l’important potentiel de la SNI en autisme, le projet SCALE vise maintenant à en démontrer l’utilité clinique en analysant les interactions de jeunes avec leur mère ou leur père. Au total, 80 jeunes de 6 à 16 ans participeront à l’étude avec un de leurs parents afin de recueillir des données sur des signaux comportementaux, physiologiques et cérébraux. Environ 40 jeunes ayant reçu un diagnostic d’autisme et leurs parents seront comparés à un groupe contrôle avec le même nombre d'enfants neurotypiques. L’analyse par intelligence artificielle de ces grands ensembles de données permettra de mesurer les différences entre les deux groupes. « L’idée est de voir à quel point le rapport à l'autre est différent, mais aussi en quoi les personnes neurotypiques – ici, les parents – interagissent différemment avec un enfant autiste qu’avec un enfant neurotypique », précise Guillaume Dumas, également professeur de psychiatrie computationnelle à l’Université de Montréal.
Car pour le chercheur, les dimensions sociales sont cruciales pour comprendre cette condition. « L’autisme est souvent vu comme un déficit de la personne, en particulier au niveau social, poursuit le chercheur. Mes recherches et celles de plusieurs collègues suggèrent plutôt que le nœud du problème se situe au niveau de l’interaction elle-même. On dit souvent, par exemple, que les personnes vivant avec l’autisme ont du mal à deviner les émotions des autres, mais l’inverse est aussi vrai : les personnes neurotypiques ont beaucoup de mal à interpréter les émotions des personnes autistes. Il y a donc une difficulté relationnelle qui est du ressort des deux personnes. Pourtant, jusqu’à maintenant, les neurosciences se sont très peu intéressées à cet aspect interactionnel de l’autisme. »
À ces données quantitatives s’ajouteront des analyses d’entretiens afin d’aborder la dimension subjective des patientes et patients, réalisées par la doctorante Anne Monnier en collaboration avec le Dr Forgeot D’Arc. Ce volet vise à explorer comment les expériences subjectives se construisent dans la dynamique d’interaction sociale. « L’objectif est d’expliciter la perspective des jeunes autistes sur leur propre vécu, de se mettre à leur place, explique Anne Monnier. Cela nous permettra de mieux comprendre les facteurs liés à l’environnement social et familial. C’est un aspect très novateur du projet, car l’implication de patients partenaires est encore peu commune dans les recherches en neurosciences. »
Les technologies de pointe et l’approche utilisées permettront à l’équipe de développer un modèle prédictif de l’autisme à plusieurs niveaux, afin d’opérationnaliser l’utilisation de l’hyperscanning-EEG en clinique. Mais plus encore, le projet SCALE nous invite aussi à repenser l’autisme dans sa dimension fondamentale, données solides à l’appui.