MONTRÉAL, le 23 septembre 2024 – Quels sont les mécanismes moléculaires et cellulaires par lesquels certains bébés développent une encéphalopathie épileptique ou un trouble du spectre de l’autisme? Des données récentes suggèrent qu’une proportion importante de ces troubles du neurodéveloppement résiderait dans une dysfonction des interneurones GABAergiques, des cellules peu nombreuses dans le cerveau, mais dont le rôle inhibiteur est crucial au bon fonctionnement des circuits neuronaux. En particulier, des mutations du gène nommé TRIO perturbent la migration de ces interneurones et altèrent leur capacité à bien s’intégrer aux circuits, nuisant au développement cérébral. C’est ce que démontre une nouvelle recherche collaborative publiée dans Molecular Psychiatry par Lara Eid (première autrice) et dirigée par la Dre Elsa Rossignol, clinicienne-chercheuse au CHU Sainte-Justine, et par la Dre Evelyne Bloch-Gallego de l’Institut Cochin à Paris. Un pas important pour mieux comprendre cette condition rare, mais grave, affectant le développement des enfants atteints.
Des neurones « désorientés »
Après avoir mis au point une technique de microscopie unique permettant de suivre en temps réel le déplacement des interneurones durant la période embryonnaire, l’équipe a démontré que la perte de fonction du gène TRIO cause des difficultés importantes dans la migration des interneurones, un processus central à la formation du cortex cérébral. En effet, lors du développement normal du cerveau d’un bébé à naître, les interneurones doivent quitter une structure embryonnaire profonde et voyager sur de longues distances afin d’atteindre le cortex en formation. « Ce qu’on observe chez les modèles murins qui ont une perte du gène TRIO spécifiquement dans les interneurones, c’est que ces derniers se déplacent de manière erratique et plus lentement, comme s’ils ne savent pas où aller, explique Lara Eid, première autrice. Cela les empêche de se rendre à destination, ce qui fait qu’au terme de la migration, plusieurs zones du cortex n’ont pas un assez grand nombre de ces interneurones. Ce que nous voyons, c’est qu’après la naissance, ces modèles développent une panoplie de troubles cognitifs et comportementaux qui ne sont pas sans rappeler ce que nous observons chez les enfants atteints d’encéphalopathie épileptique. »
L’étude démontre que TRIO est un acteur central qui permet d’intégrer les signaux dans l’environnement et d’enclencher les changements morphologiques nécessaires pour que les interneurones en migration s’orientent et avancent dans la bonne direction. Ainsi, ces difficultés au niveau du processus de migration reflètent une dysfonction à deux niveaux, soit dans l’aptitude des neurones à changer de forme pour se réorienter et se propulser (mécanismes intrinsèques) et dans la réponse aux signaux externes (mécanismes extrinsèques). D’une part, la perte de fonction de TRIO altère la morphologie des interneurones et réduit leur vitesse de migration. D’autre part, cette même perte fait en sorte que l’interneurone ne réponde pas bien aux messages d’attraction, dites de guidance, sécrétés par les cellules environnantes, ainsi qu’à certains signaux qui activent le processus dynamique de migration. L’étude confirme que ces deux aspects sont absolument nécessaires pour que le processus de migration se passe normalement et que ceci passe par le rôle clé de TRIO dans la régulation de la mécanique cellulaire par de petites molécules appelées les RhoGTPAses.
Des pistes intéressantes pour un éventuel traitement
Bien que les recherches n’en soient pas encore à l’étape de développer un traitement pour l’encéphalopathie épileptique associée au gène TRIO , l’étude offre des pistes intéressantes pour orienter le développement d’un éventuel traitement pharmacologique, d’une thérapie génique ou d’une thérapie cellulaire par transplantation de cellules progénitrices d’interneurones GABAergiques. « Nos résultats suggèrent que les enfants atteints d’une encéphalopathie épileptique associée à une mutation du gène TRIO pourraient bénéficier d’une thérapie ciblée ou d’une thérapie cellulaire visant à rétablir le nombre ou la fonction des interneurones », souligne la Dre Elsa Rossignol, co-chercheuse principale de l’étude. Des données qui concrétisent un peu plus l’espoir d’un traitement pour améliorer le sort des enfants atteints.