MONTRÉAL, le 9 octobre 2024 – Une nouvelle étude dirigée par Serge McGraw, chercheur au CHU Sainte-Justine et professeur à l’Université de Montréal, démontre que les effets d’une exposition à l’alcool chez un embryon, avant son implantation dans l’utérus, peuvent être décelés dans le placenta en fin de gestation. En utilisant un modèle murin bien établi pour ce type d’exposition, le chercheur et son équipe ont observé des changements moléculaires significatifs dans le placenta, notamment au niveau de l’expression de nombreux gènes et au niveau de la méthylation de l’ADN, une marque épigénétique qui influence l’expression des gènes en agissant comme un interrupteur. Puisque le placenta joue un rôle central dans le développement et la santé du fœtus, ces changements pourraient entraîner des conséquences importantes sur le devenir de l’enfant. De plus, l’étude montre que ces altérations de méthylation de l’ADN pourraient constituer une signature moléculaire robuste, permettant de déterminer si un individu a été exposé à l’alcool en tout début de grossesse. Cette preuve de concept ouvre la voie au développement de tests diagnostiques chez l’humain, qui permettraient une détection précoce de l’exposition à l’alcool dès les premiers jours de vie des nouveau-nés.
Des impacts différenciés selon le sexe
Il a longtemps été perçu que l’exposition à l’alcool pendant la phase pré-implantatoire – lorsque l’ovocyte fécondé passe de l’état unicellulaire à un embryon d’une centaine de cellules – n’avait pas d’effet sur le bébé à naître, à condition que l’embryon réussisse à s’implanter dans l’utérus. Cependant, au cours des dernières années, l’équipe de Serge McGraw a démontré que cette croyance est fausse. Le jeune embryon peut survivre à cette exposition, mais le développement du cerveau peut être altéré à divers degrés. L’étude publiée aujourd’hui révèle pour la première fois que ces effets nocifs de l’alcool sur le développement du fœtus ne sont pas directement attribuables à des anomalies du placenta. Cependant, des changements moléculaires, notamment dans l’expression des gènes en raison de changements dans les profils de méthylation de l’ADN, pourraient jouer un rôle important dans ces effets délétères.
Or, l’impact épigénétique de l’exposition à l’alcool varie selon le sexe. Chez les embryons mâles, la régulation des gènes liés à la croissance était davantage affectée, ce qui corrobore les données démontrant que les mâles sont plus vulnérables aux retards de croissance après une exposition à l’alcool en phase pré-implantatoire. Chez les femelles, c’est surtout la régulation des gènes impliqués dans le métabolisme de la sérotonine – un neurotransmetteur essentiel pour le développement et la fonction du cerveau – qui étaient touchés. Cela suggère qu’une perturbation dans cette voie de signalisation pourrait contribuer aux défauts morphologiques cérébraux observés dans leur modèle.
Fait à noter, cette étude porte sur une consommation élevée d’alcool, l’équivalent chez l’humain de cinq ou six consommations en une heure. Ce modèle est particulièrement pertinent dans la mesure où une proportion significative des grossesses ne sont pas planifiées, et dans un contexte mondial où la consommation d’alcool chez les femmes est en augmentation à l'échelle mondiale, selon l’Organisation mondiale de la Santé. « Notre modèle cherche à reproduire et à comprendre les effets d’une situation où une femme, enceinte d’environ une semaine – portant donc un embryon de quelques cellules – consommerait une grande quantité d’alcool rapidement, lors d’une fête ou dans un bar par exemple, sans forcément savoir qu’elle est enceinte », explique le chercheur.
Vers un dépistage précoce?
Bien qu’une validation chez l’humain reste à être effectuée, l’équipe considère que les profils de méthylation de l’ADN pourraient constituer un bon indicateur pour dépister dès la naissance si un bébé a été exposé à l’alcool durant la gestation. « Actuellement, aucun test diagnostique moléculaire n’existe pour détecter l’exposition prénatale à l’alcool, explique Serge McGraw. Ainsi, à moins d’une atteinte très sévère chez l’enfant, les difficultés sont souvent remarquées seulement après l’entrée à l'école ou même à l'adolescence. Les jeunes peuvent avoir par exemple des difficultés à se concentrer ou un trouble du comportement, ce qui complique leur parcours scolaire. » Le développement d’un test de dépistage basé sur cette mémoire moléculaire de l’exposition, présente dans le placenta, permettrait d’assurer un suivi médical adapté, et ce, dès le plus jeune âge.

De gauche à droite : le chercheur Serge McGraw, accompagné d'Anthony Lemieux, de Fannie Filion-Bienvenue et de Thomas Dupas (co-autrice et co-auteurs). © CHU Sainte-Justine