Montréal, le 29 janvier 2025 – Une avancée importante sur le lien entre cognition et génétique a été réalisée grâce à une étude menée par Guillaume Huguet et Thomas Renne, sous la direction du Dr Sébastien Jacquemont. Cette recherche explore comment les variations du nombre de copies de certains segments d’ADN, appelées CNV, peuvent avoir une influence sur les capacités cognitives. Grâce à l’analyse des CNV chez près de 260 000 individus de la population générale, les chercheurs ont pu comparer les CNV et la cognition de chaque individu afin de définir un modèle de référence – une sorte de « carte » de l'impact des CNV sur la cognition, comme le quotient intellectuel et la mémoire – et d’établir des liens entre ces CNV et des atteintes non seulement au niveau du cerveau, mais aussi d’autres organes et tissus. Cette recherche ouvre ainsi la voie à de nouvelles stratégies pour le diagnostic, la prise en charge et le suivi de troubles neurodéveloppementaux.
Ce que peuvent nous enseigner les CNV
Chaque individu possède normalement deux copies de chaque gène, héritées respectivement de chaque parent. Toutefois, il arrive fréquemment qu’un individu ait une variation dans le nombre de copies de certains segments : il présente soit une perte (ou délétion), c’est-à-dire qu’il a moins de deux copies, soit il présente un gain (ou duplication), donc plus de deux copies d’un segment. La plupart de ces variations n’ont aucun impact significatif sur la santé, mais certaines d’entre elles peuvent contribuer à l’apparition de maladies ou de syndromes génétiques. L’interprétation de l’impact des CNV repose sur le contenu en informations génétiques, c’est-à-dire les gènes présents dans la séquence d’ADN. Ces CNV peuvent modifier l’expression des gènes, soit l’augmenter en cas de duplication ou la réduire en cas de délétion.
Certains changements dans l'expression génique sont associés à des effets sur les capacités cognitives. Par exemple, des délétions des gènes dont l’expression est particulièrement forte dans les structures sous-corticales du cerveau ont montré des effets négatifs marqués sur les fonctions cognitives, en opposition aux duplications, qui semblent avoir un impact plus important lorsqu'elles concernent des gènes du cortex. De plus, les résultats de l’étude permettent aussi de constater que certaines duplications ont un effet protecteur contre les troubles neurodégénératifs. « Nous avons observé la première duplication génétique qui pourraient prévenir le déclin cognitif », explique Guillaume Huguet, associé de recherche dans le laboratoire du Dr Jacquemont. En effet, des membres âgés de la cohorte qui avaient ces duplications montraient un déclin cognitif plus faible que les autres du même âge.
Des liens inédits avec des organes non cérébraux
Un des aspects novateurs de l’étude est l’analyse des organes autres que le cerveau. Les chercheurs ont ainsi observé que les CNV des gènes exprimés dans d’autres organes, a priori indépendants du cerveau, influencent aussi les fonctions cognitives. Cette étude offre une démonstration particulièrement convaincante de l’effet des CNV à travers plusieurs organes, permettant d’expliquer les comorbidités (non cérébrales) observées chez les patients atteint de déficience intellectuelle.
Grâce aux cartographies de l’ADN réalisées, ces découvertes ouvrent la porte à une compréhension plus large de la manière dont les altérations génétiques touchant différents organes interagissent avec les fonctions cérébrales, et illustrent l’importance d’adopter une approche globale dans l’étude des troubles cognitifs ou du neurodéveloppement dans la population générale.
De nouvelles perspectives en médecine cognitive et neurodéveloppementale
Cette étude marque un tournant dans notre compréhension des bases génétiques des capacités cognitives et des troubles neurodéveloppementaux. Des équipes spécialisées pourront utiliser les « cartes » dans des recherches ultérieures. Les résultats de ces travaux ouvrent ainsi de nouvelles pistes pour le diagnostic précoce, le traitement personnalisé et la gestion des risques. En associant génétique et compréhension des interactions biologiques complexes entre le cerveau et d'autres organes, cette recherche pourrait transformer la manière dont nous abordons les troubles cognitifs, offrant ainsi des perspectives de prévention et de traitement innovantes tout en améliorant la qualité de vie des patientes et patients. Elle donne également une nouvelle vision sur la cognition, indiquant qu’elle n’est pas uniquement issue du fonctionnement du cerveau, mais aussi de l’ensemble du corps, à l’image d’un écosystème.
Au niveau des soins, une des ambitions majeures de cette recherche est de permettre aux cliniciennes et cliniciens de mieux comprendre les risques associés aux CNV et de personnaliser la prise en charge médicale en fonction des profils génétiques des personnes. Par exemple, un outil de prédiction développé par l'équipe permet d’évaluer l'impact des duplications et des délétions sur le QI et sur des troubles du neurodéveloppement comme l'autisme. « Cela permet aux cliniciennes et cliniciens de mieux orienter leurs diagnostics en utilisant des données génétiques comme point de départ », explique Guillaume Huguet. En identifiant les CNV dits « à risque », les médecins pourraient être en mesure d’anticiper les répercussions et de proposer un suivi et des interventions mieux ciblés.
Par exemple, pour une délétion génétique dont on estime un fort impact sur la cognition, chez un enfant en bas-âge, référé en clinique pour un retard moteur, ce dernier pourrait recevoir un soutien approprié bien avant l’apparition des symptômes cognitifs. Cette approche proactive pourrait atténuer les impacts à long terme des troubles neurodéveloppementaux.
Bien que beaucoup reste à faire pour valider ces découvertes et les appliquer en clinique, les avancées réalisées par cette équipe ouvrent des perspectives passionnantes pour l’avenir de la médecine personnalisée en neurologie. Grâce aux cartes détaillées des divers impacts des variations de segments d’ADN, l’étude montre le chemin à suivre pour d’autres recherches.

Le Dr Sébastien Jacquemont (à gauche), accompagné de l'associé de recherche Guillaume Huguet (Thomas Renne absent de la photo) © CHU Sainte-Justine (Véronique Lavoie)