Derrière chaque parcours scientifique, il y a des rencontres décisives, des conseils transmis au bon moment et des initiatives qui laissent une empreinte durable. Le mentorat, c’est cet accompagnement discret mais essentiel qui nourrit la confiance et rend visibles des trajectoires possibles.
Avec cette nouvelle série d’entrevues, Dans les coulisses du mentorat, nous donnons la parole à des membres de la communauté du Centre de recherche qui partagent leur vision, leurs expériences ainsi que leur manière d’accompagner la relève.
C’est dans cet esprit d’échange que nous avons rencontré Miriam Beauchamp, chercheuse au Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine et professeure à l’Université de Montréal depuis plus de 15 ans. Elle y dirige un groupe d’une trentaine de personnes et pratique un mentorat fondé sur l’ouverture d’esprit, l’adaptabilité et l’équilibre de vie.
Pouvez-vous décrire une ou un mentor qui a profondément marqué votre parcours et expliquer ce qui rendait son accompagnement unique ?
« Pendant mon postdoctorat en Australie, j’ai été supervisée par Vicki Anderson qui est devenue ma mentore et continue de l’être encore aujourd’hui. Je suis restée trois ans là-bas et, pour des raisons personnelles, j’ai dû faire plusieurs allers-retours entre Montréal et Melbourne. J’étais nerveuse à l’idée d’en parler à ma superviseure, de peur qu’elle pense que je n’étais pas sérieuse. Rien de “grave” ne justifiait ces voyages, et j’anticipais son jugement. Ce qui m’a frappée, c’est qu’elle a normalisé la situation : Si tu sens que tu dois rentrer, alors tu rentres. On trouvera une façon de faire fonctionner les choses. Cette attitude m’a profondément marquée car, avec le recul, je comprends à quel point ce type de réaction crée une sécurité psychologique et un niveau de confiance implicite. Oui, il y avait une hiérarchie entre une superviseure et sa postdoctorante mais, à ce moment précis, nous étions surtout des collègues.
Je voudrais donner un autre exemple, parce qu’il illustre bien ma vision du mentorat. On pense souvent au mentorat comme un lien officiel entre un superviseur et son étudiante ou son étudiant. Mais, à mes yeux, nous avons toutes et tous des mentors ponctuels, à différents moments de notre vie. Il y a quelques années, j’ai traversé une situation difficile dans un projet avec un partenaire. C’était un terrain nouveau pour moi, et je n’étais pas à l’aise. Finalement, j’ai pensé à une collègue de l’Université de Montréal que je connaissais un peu. Je connaissais son parcours et j’ai eu l’intuition que c’était elle, la bonne personne à qui demander un avis. Son aide, à ce moment-là, a été précieuse. Que l’on soit en début, en milieu ou même en fin de carrière, on a besoin, parfois, du regard et des conseils de quelqu’un d’autre. Le mentorat, c’est aussi ça : aller chercher l’appui d’une personne qui offre une autre perspective. »
En quoi les modèles ont-ils été cruciaux pour votre réussite académique et comment tentez-vous d’être un modèle pour la nouvelle génération ?
« Mon parcours n’a pas été linéaire. Être un modèle, ce n’est pas projeter une image parfaite, mais montrer que les détours font partie de la trajectoire. Mes étudiantes et étudiants me disent parfois : Mais pour toi, Miriam, tout était toujours clair, tu savais où tu allais. Or c’est faux, ils me voient aujourd’hui, mais évidemment que j’ai eu mes échecs, mes doutes, mes changements de cap. C’est là que réside la valeur du partage. Si je suis arrivée ici, alors elles aussi — et eux aussi — peuvent y arriver. Par ailleurs, Vicki Anderson, dont je parlais plus tôt, m’a aidée à redéfinir le leadership et à prendre confiance en mon rôle de leader. Elle m’a montré qu’on peut diriger autrement que selon les modèles dominants. Je n’ai jamais été introvertie ni effacée, mais mon style est sans doute plus doux, différent. Et elle m’a dit : Justement, c’est aussi ça, du leadership. Tu n’as pas besoin d’adopter un autre modèle. Reconnaître cette diversité de styles est essentiel, cela aide les jeunes de tous horizons à se projeter. »
Quel est le meilleur conseil à donner à un pair en termes de mentorat ?
« Pour moi, c’est tellement important d’apprendre à rester ouverte face aux opportunités qui se présentent. » Cet état d’esprit, Miriam le doit aussi à sa propre mentore, qui lui a transmis l’importance du parrainage professionnel : « Aller au-delà des conseils pour poser des gestes concrets. C’était quelqu’un qui promouvait activement les personnes de son équipe. Elle me disait : J’ai vu telle formation, si tu es d’accord je vais proposer ton nom. Elle pensait à des choses spécifiques pour moi, et ça, c’est un autre niveau de mentorat très puissant et proactif. Aujourd’hui, j’essaie de reproduire ce modèle. Proposer une étudiante ou un étudiant pour un projet ou un prix, l’inviter à rejoindre un comité, l’introduire dans un réseau… Ce type d’action dit : Je crois en toi, et je veux que les autres le voient aussi. Ça permet de donner de la visibilité à des personnes qui, autrement, ne seraient peut-être pas remarquées. »
Les compétences clés à transmettre
« Trois compétences me tiennent à cœur :
- Garder une grande ouverture d’esprit : accueillir les nouvelles idées et se donner la chance d’essayer. Ensuite, apprendre à composer avec les imprévus, à transformer les détours en apprentissages.
- Avoir confiance en soi, en la vie et en sa trajectoire : encourager les étudiantes et étudiants à avoir confiance en leurs choix et comprendre que les détours sont une partie importante du chemin, et qu’il n’y a pas de regret à avoir.
- Soigner un certain équilibre de vie : normaliser le fait de prendre du temps pour soi et sa famille, en dehors du laboratoire. Le rôle du mentor est aussi de montrer par l’exemple qu’il est légitime de faire autre chose, de préserver ses loisirs personnels.
La fiabilité et l’écoute active relèvent de la responsabilité de la ou du mentor(e). Les personnes de mon équipe doivent savoir qu’elles peuvent compter sur moi dans les moments clés. C’est cette présence qui crée la confiance et permet d’oser. Parfois on a juste besoin d’écouter pour valoriser, comme tout bon psychologue. »
« Ce sont ces moments de dialogue et de partage, entre pairs ou avec les étudiantes et étudiants, qui donnent tout leur sens au mentorat. Ce n’est pas seulement transmettre des conseils, des pratiques et des outils, mais bien partager des expériences vécues en vue d’ouvrir le dialogue et de valoriser ce rôle qui est le nôtre. »