MONTRÉAL, le 20 janvier 2021 – S’appuyant sur plus de 30 ans d’études sur des questions liées à la santé au travail des femmes et des populations vulnérables, l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur le travail Santé-Genre-Égalité (SAGE)* dont fait partie la professeure Marie Laberge, ergothérapeute, ergonome et chercheuse au CHU Sainte-Justine, a produit une analyse détaillée du Projet de loi 59 (PL 59) afin d’y évaluer la manière dont sont prises en compte la santé des femmes et des personnes en situation de vulnérabilité, l’activité réelle du travail et les conditions d’efficacité des mesures préventives.
Dans son mémoire déposé à la Commission de l’économie et du travail, l’équipe SAGE identifie d’importants enjeux pour la santé des femmes et d’autres catégories de travailleurs.ses en situation de vulnérabilité.
L’équipe SAGE reconnaît l’importance de ce chantier, mais considère que le texte actuel du PL 59 ne constitue pas une véritable modernisation du régime de la santé et de la sécurité du travail (SST) du point de vue de la prévention des risques auxquels sont exposées les femmes et d’autres catégories de travailleurs.ses en situation de vulnérabilité, nonobstant l’avancée importante de l’obligation de protection de l’employeur en matière de violence conjugale et l’ajout de dispositions impliquant la prévention des risques ergonomiques et psychosociaux. De surcroît, le PL59 dans sa forme actuelle fait reculer les droits des victimes à la réparation en cas de lésions professionnelles ce qui ultimement nuirait aux efforts de prévention.
Ne pas reproduire ou amplifier les inégalités de l’ancien régime de SST
En fonction des principes d’une analyse différenciée selon les sexes, l’équipe SAGE émet 49 recommandations s’appuyant sur (1) l’état des connaissances scientifiques; (2) l’analyse de l’effectivité des dispositions légales et (3) les nombreuses expériences de recherche-intervention en milieu de travail des membres de l’équipe.
Les recommandations ont pour fil conducteur d’éviter que la modernisation du régime de SST ignore les inégalités sociales et de genre de l’ancien régime au risque de les perpétuer voire de les amplifier. Le PL 59 propose que l’application des mécanismes de prévention et de participation des travailleurs.ses soit modulée en fonction d’une estimation du « niveau de risque » ne tenant compte que des lésions déclarées, reconnues et indemnisées. Si la volonté du ministre est d’étendre la protection de la Loi aux travailleuses, il doit retirer ce critère qui perpétue la sous-estimation des risques auxquels les femmes sont exposées. En effet, les femmes sont plus exposées que les hommes, entre autres, au travail très répétitif, aux postures statiques prolongées, à la violence physique et psychologique et à des facteurs de risque pour la santé mentale reconnus. Ainsi, du fait de la nature des emplois qu’elles occupent, les femmes sont plus affectées par des troubles musculosquelettiques et des problèmes de santé mentale reliés au travail, deux types de lésions qui font particulièrement l’objet d’une sous-déclaration bien démontrée.
La professeure Marie Laberge travaille sur la prévention de l’incapacité de travail des adolescents.es qui présentent des retards scolaires dus, entre autres, à des troubles d’apprentissage divers, une situation de handicap ou des difficultés d’adaptation psychosociale. Elle développe des interventions de prévention des lésions professionnelles et de développement des capacités de travail et d’insertion socioprofessionnelle réussie auprès de cette sous-population.
« La réforme de la loi est particulièrement préoccupante pour cette sous-population, car la nouvelle loi ne prévoit pas de mécanismes de représentation des travailleurs.ses non syndiqués ou qui travaillent dans des petites entreprises quant aux obligations de prévention. Ces jeunes sont surreprésentés dans ces catégories d’emplois. De plus, le projet de loi pourrait perpétuer, tel qu’il est présenté actuellement, des iniquités par rapport aux jeunes femmes spécifiquement », souligne la professeure Laberge.
Le mémoire propose des pistes pour faire en sorte que le Québec retrouve son statut de leader en SST.
Geneviève Baril-Gingras, l’une des autrices de mémoire souligne : « Une véritable modernisation suppose une approche inclusive (mieux protéger les travailleurs·ses d’agence de placement de personnel, éliminer l’exclusion des travailleuses domestiques), participative (rehausser significativement le temps alloué aux représentant·es de travailleurs·ses pour agir en prévention), systémique (intégrer les risques pour la travailleuse enceinte au programme de prévention, agir sur les facteurs de risque organisationnels et psychosociaux), localisée (exiger un programme de prévention et un comité de SST propre à l’établissement plutôt que multiétablissement, maintenir le rôle du médecin traitant dans le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite), équitable (retirer les modifications limitant la reconnaissance des troubles musculo-squelettiques), accessible (soutenir les travailleurs·ses des petits établissements et les non-syndiqué·es en matière de prévention et d’indemnisation). Une approche qui assure le soutien et le contrôle externes en s’appuyant sur l’expertise du Réseau de santé publique en santé au travail et en augmentant le nombre d’inspecteurs et inspectrices. »
Jessica Riel, responsable de l’équipe SAGE et coauteure du mémoire, ajoute : « Il ne faut pas manquer cette opportunité qu’offre la modernisation du régime québécois de santé et sécurité du travail pour mieux protéger la santé et sécurité de milliers de travailleuses, mais aussi de travailleurs. Des travaux scientifiques rigoureux ont permis de rendre visibles les risques à la santé des femmes au travail de même que des inégalités sociales et de genre en matière de prévention et de réparation. Il nous apparaît donc nécessaire que la réforme du régime en tienne compte. » Soulignons qu’une des autrices du mémoire de l’équipe SAGE, Me Rachel Cox professeure à l’UQAM, a présenté le 19 janvier les conclusions spécifiques à la protection des travailleuses victimes de violence conjugale.
* Financée par le Fonds de recherche du Québec – Société et ET Culture (FRQSC), l’équipe SAGE est un leader en recherche sur la santé au travail et les inégalités sociales et de genre au Québec. Ses travaux se caractérisent par l’analyse écosystémique des problématiques de santé au travail s’appuyant sur des collaborations interdisciplinaires et interuniversitaires (UQO, UQAM, UdeM, UdeS, TELUQ, ULaval) dans le cadre de recherches partenariales.