MONTRÉAL, le 21 janvier 2021 – Une équipe de recherche internationale dirigée au CHU Sainte-Justine et à l’Université de Montréal a mis à profit la bio-informatique pour mettre au point un modèle statistique permettant de prédire l’effet des mutations génétiques structurelles sur la déficience intellectuelle. Les résultats de ces travaux sont présentés dans le journal Molecular Psychiatry.
L’équipe du Dr Sébastien Jacquemont a étudié une cohorte de 24 092 personnes issues de la population générale (dont la cohorte de recherche CARTaGENE au Québec) ainsi que des individus avec un diagnostic d’autisme. Tous les participants avaient bénéficié d’une évaluation de leurs aptitudes intellectuelles.
Non seulement cela a permis de confirmer l’efficacité du modèle statistique pour prédire l’effet négatif des variations génétiques sur les traits cognitifs d’une personne, mais grâce à la puissance statistique octroyée par cette grande population, l’équipe de recherche a pu décrire les mécanismes biologiques qui sous-tendent ces observations.
Troubles neurodéveloppementaux
Environ 2 à 5 % de la population générale présentent des troubles neurodéveloppementaux et neuropsychiatriques, dont la déficience intellectuelle, les troubles sévères d’apprentissage et les troubles du spectre de l’autisme. Les tests génétiques couramment réalisés chez les patients référés en clinique du développement identifient dans 10-15 % des cas des mutations de variation du nombre de copies (CNVs) contribuant aux troubles neurodéveloppementaux. Les CNVs sont des délétions (perte) ou duplications (gain) d’une portion du génome.
«Cependant, l’effet sur la cognition de la majorité de ces mutations n’est pas connu, car elles sont très rares», souligne le Dr Sébastien Jacquemont, clinicien-chercheur en génétique au CHU Sainte-Justine et qui a dirigé l’étude.
En l’absence d’outil pouvant prédire les effets de telles mutations lorsqu’elles sont identifiées chez un patient en clinique, il est impossible de savoir si la mutation contribue - ou non - aux difficultés de l’enfant.
Évaluer l’effet de la perte ou du gain de matériel génétique
Pour développer cet outil, l’équipe de recherche a travaillé sur sept cohortes regroupant plus de 24 000 personnes. Dans un premier temps, ils ont identifié chez ces personnes les CNVs présents dans leur génome.
L’équipe a ensuite exploré les caractéristiques intrinsèques à chaque CNV, comme le score d’haploinsuffisance, c’est-à-dire l’intolérance pour l’organisme de perdre une copie du gène et d’entraîner une altération de sa fonction biologique. Puis, elle a classifié les résultats selon leur «pouvoir de prédiction» et ainsi défini les informations génétiques caractérisant le mieux l’impact des délétions et des duplications sur les traits cognitifs.
Pour s’assurer de la pertinence des résultats, les chercheurs ont validé le modèle en montrant qu’il pouvait prédire avec une précision de 78 % l’effet quantitatif de 47 délétions et duplication dont l’impact sur le quotient intellectuel (QI) est bien connu.
«Il faut savoir que notre modèle ne permet pas de prédire le QI de l’individu, mais bien la perte de points de QI associée à la présence d’une VNC dans son génome. Si la mutation a un effet important et concordant avec les difficultés cognitives du patient, on peut considérer que cette mutation représente un facteur diagnostic majeur chez le patient», explique Guillaume Huguet, Ph. D, auteur principal de l’étude.
L’étude montre aussi que 10 000 gènes (la moitié du génome) influencent le quotient intellectuel lorsqu’ils sont délétés par un CNV. Presque toutes les fonctions moléculaires sont impliquées dans la cognition.
Application en clinique
Cette découverte ouvre la porte à une meilleure interprétation en clinique des analyses génétiques. Les résultats permettent de mieux comprendre l’architecture génétique de la cognition.
De plus, elle propose une nouvelle méthode pour l’étude des mutations dont la rareté ne permet pas d’utiliser des approches conventionnelles.
À propos de l’étude
L’article «Genome-wide analysis of gene dosage in 24,092 individuals estimates that 10,000 genes modulate cognitive ability» a été publié le 7 janvier 2021 dans le journal Molecular Psychiatry. Les premiers auteurs sont Guillaume Huguet et Catherine Schramm dans le laboratoire du Dr Sébastien Jacquemont. L’auteur principal est le Dr Sébastien Jacquemont, médecin généticien et chercheur au CHU Sainte-Justine et professeur agrégé au Département de pédiatrie de la Faculté de médecine à l’Université de Montréal.
L’étude a été soutenue par une Chaire de recherche du Canada en génétique des troubles neurodéveloppementaux, la Chaire Jeanne-et-Jean-Louis-Levesque en génétique des maladies du cerveau, l’Institut de valorisation des données (IVADO), les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), la Fondation CHU Sainte-Justine, le Réseau de médecine génétique appliquée, la Fondation Bettencourt-Schueller, la Chaire de recherche Marcel et Rolande Gosselin en neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique, la Fondation Brain Canada, la Fondation des maladies du cœur du Canada, le Wellcome Trust, et le National Institutes of Health (NIH). Les IRSC et la Fondation des maladies du cœur du Canada financent l'étude Saguenay Youth Study (SYS).
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À propos du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine
Le Centre de recherche du CHU Sainte-Justine est un établissement phare en recherche mère-enfant affilié à l’Université de Montréal. Axé sur la découverte de moyens de prévention innovants, de traitements moins intrusifs et plus rapides et d’avenues prometteuses de médecine personnalisée, il réunit plus de 210 chercheurs, dont plus de 110 chercheurs cliniciens, ainsi que 450 étudiants de cycles supérieurs et postdoctorants. Le centre est partie intégrante du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, le plus grand centre mère-enfant au Canada et le deuxième centre pédiatrique en importance en Amérique du Nord.